La
crinière blanche relevée ; le professeur évoquait un vieux lion qui aurait
pris sa retraite, mais c’eût été mal le connaître.
—
Par tous les pépins de la pomme de Newton, Van ! Mon Helsing préféré, tu
me mets dans l’embarras.
Abraham
Van Helsing grimaça une mimique de déception que sa voix ne laissa pas
transparaître.
—
Je ne vous ai jamais entendu prononcer ce mot-là. Que se passe-t-il
Emmet ? Des soucis avec Marty.
—
Oh ! grand Dieu non. Non, le gamin est formidable, c’est la DeLorean
qui est en révision. Tu te rappelles que pour effectuer un saut dans le temps,
mon convecteur temporel consomme une puissance électrique de 1,21 gigawatt,
et que pour l’obtenir j’utilise du plutonium ? Eh bien, figure-toi que
j’ai décidé de remplacer cette matière fissile dangereuse, par de simples
détritus : je viens d’inventer le générateur de fusion.
—
Mais c’est génial Doc et…
—
Bon, c’est bien joli vos cours sur le voyage dans le temps, mais les problèmes
mécaniques de Mister Brown, je m’en tamponne le coquillard.
Grelottant
de froid ou de peur, Alphonse qui ne comprenait rien au dialogue ne tenait plus
en place. Pour ne rien arranger, à l’avant du véhicule les mamies diaboliques
lui jetaient des regards concupiscents. Affreusement gêné par leurs œillades,
il l’était davantage par la considération haineuse de sa mère. D’ailleurs,
était-ce vraiment elle ou un ersatz fabriqué par Draco, après qu’il ait
fait main basse sur les travaux du docteur Frankenstein ?
Le
Doc perçut son nom malgré un bruit de friture dans la communication.
—
Allô, qu’est-ce qui raconte ton client ?
Van
Helsing fronça les sourcils d’agacement, mais il retomba sur ses pieds.
—
Il apprécie vos inventions Doc, et il me dit qu’il adorerait vous rencontrer.
—
Mais Van ! Nous ne roulons plus ! geint Alphonse livide comme un
cadavre en devenir.
Abraham
réalisa la situation et conclut rapidement avant de raccrocher :
—
Emmet, vous savez la date et le lieu où vous rendre. Il faut empêcher
l’apocalypse. Vous êtes notre seul espoir.
Sinon
il n’y aura plus ni passé, ni présent, ni futur…
Le
curieux équipage était arrivé à destination.
Draco
sortit le premier de la camionnette. Ses dons magiques lui avaient permis de
suivre toute la conversation téléphonique, mais il n’en était pas affecté.
Mieux,
il en souriait, car bientôt plus personne ne pourrait contrecarrer ses plans.
—
Tout le monde dehors ! Les filles, on touche au but ! Faites
transporter le coffre par les deux sbires à l’emplacement convenu. Je vous y
attends. Messieurs, bienvenue chez vous !
Puis,
il s’évapora dans le brouillard.
Esperanza.
La
ZAC de l’Esperanza les accueillit. Ce n’était pas la prison à laquelle Alphonse
avait pensé, mais une banale zone d’activités abandonnée. Un genre de friche
industrielle battue aux quatre vents, dont les constructions ressemblaient à de
grands navires-fantômes. Un site en perdition comme les affectionnait Draco.
Van
Helsing se retint d’agir, ce n’était pas l’envie qui lui manquait d’étrangler
les deux rombières. Cependant, il choisit de continuer sagement pour voir où
cela les mènerait ; le Doc avait besoin d’un peu de temps pour intervenir.
Face
à eux se dressait une usine désaffectée, curieusement une fumée noirâtre
s’échappait d’un évent. La bâtisse était lugubre, froide, inhospitalière.
C’est
Rosy qui marchait en tête de cortège. Devant la porte, elle fouilla un moment
ses poches pour en extraire une longue clé métallique. Elle actionna la
serrure, qui ne résista pas, et ouvrit le battant massif sans montrer la
moindre difficulté. Pourtant, il paraissait énorme. L’intérieur contrastait
étrangement avec l’extérieur. Passé le hall d’entrée flanqué d’un escalier
magistral, la petite troupe pénétra dans un salon gigantesque et richement
décoré. Le décor était familier à Van Helsing.
—
Bon sang, mais c’est la réplique du château de Bran ! Il l’a reproduit à
l’identique dans un bâtiment perdu à des milliers de kilomètres de chez lui… Je
me doutais que Vlad aimait son confort, mais là, il joue hors
compétition ! Ce bonhomme est un vrai mordu de home staging !
Et
mordu est un vocable qui lui sied parfaitement.
—
Arrêtez de lambiner, les deux lambins ! Dirigez-vous vers le feu.
Quand
Rosy donnait un ordre, personne n’avait le courage de le discuter et surtout
pas Alphonse. En outre Jacqueline et Clotilde, les succubes du troisième âge,
leur infligeaient des coups de canne pour les inciter à avancer. Aux murs, des
portraits d’ancêtres antédiluviens les regardaient avec convoitise. Leurs yeux
vides semblaient les pister tout le long du trajet.
La
pièce n’en finissait plus, comme si elle se rallongeait indéfiniment. Les
épaules écrasées par le poids, Alphonse et Abraham suaient abondamment.
Trimballer une malle aussi lourde sur une moquette aussi épaisse n’était pas
chose aisée, du reste il régnait dans le coin une température infernale.
De
grosses bûches de chêne brûlaient dans l’âtre. Un instant, Alphonse éprouva le
sentiment diffus que ces flammes montaient directement de l’enfer.
—
Que fait-on maintenant ? s’inquiéta-t-il.
—
Ne bouge plus mon mignon, s’enquit Rosy.
Elle
se rapprocha d’un buste grimaçant d’Asmodée, un élément de décoration de la
cheminée, et enfonça derechef son index dans la narine gauche, son majeur dans
la droite. Un grincement strident leur vrilla les nerfs. En reculant le foyer
de deux mètres, le mécanisme révéla les marches dérobées d’un passage secret.
En
bas, une voix sépulcrale résonna longtemps à leurs oreilles.
—
Approchez mes agneaux, la cérémonie ultime va commencer. Ah, ah, ah, ah...
Putain de journée de
congé, fut
la dernière pensée d’Alphonse lorsqu’ils descendirent dans les tréfonds de la
terre...
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