samedi 13 décembre 2014

Ce pauvre Alphonse.... il est malle pris... Chapitre 19 par Java

 — Coupez..

Le cri avait envahi l’espace.

Les comédiens quittèrent le devant des caméras, les perchistes allèrent s’asseoir, l’espace s’anima un peu. Alphonse regarda sa mère, enfin le mannequin fumant qui en faisait office. La vraie, celle qui l’avait entraîné dans cette histoire faisait les yeux doux à un cameraman à la calvitie naissante et dont les bourrelets de graisse ne semblaient pas être absorbés par le pull large XXL sous lequel il transpirait.

Près de la grande cheminée, Helsing tirait sur une pipe en écume en révisant son texte, tandis que le scénariste rongeait dans un coin ses derniers ongles, le bonhomme qui n’avait jamais connu un seul succès dans sa vie professionnelle ne revenait toujours pas que son mélange de « retour vers le futur » et de « Dracula prince des ténèbres » soit retenu. Il allait connaître la consécration à 67 ans. Il avait maintenant hâte que cela se termine qu’il puisse préparer son retour et son interview certain à Antenne 2 avec Laurent Delahousse.

L’endroit s’animait, en attendant la prochaine prise on rigolait. Un psy de base égaré en ces lieux aurait pu voir pourtant que cette décontraction n’était que factice, les rires et les vannes n’étaient là que pour détendre une atmosphère plombée comme si l’invité de cette histoire à rebondissements divers allait malgré tout arriver et foutre le feu à cette innocente pagaille.

Après ces heures et ces heures de tournage, certains avaient maintenant la sensation d’avoir joué avec leurs peurs les plus anciennes, celles que l’on enterre au fil des années à coups de passions destructrices, de slogans politiques, de supermarchés, de lumières artificielles, de victoires de la musique ou de masterchef, celles de la mort. Ceux-là avaient les traits tirés et la colère facile. Les autres tiraient sur des pétards d’herbe ou finissaient des bouteilles de mauvais alcool. Trouver un véritable cognac dans ce coin où on les avait entraînés pour faire plus vrai, relevait du miracle. Ce château trouvé par la prod était à lui tout seul la mise en matière d’un véritable cauchemar avec ses tours sombres et ses grandes salles voûtées. Elles s’étaient réveillées les peurs, elles étaient là à présent. On pouvait se cacher derrière les caméras, les scripts, les répliques toutes aussi succulentes les unes que les autres. Personne ne s’était réellement installé, en fait ils auraient tous pu partir dans la demi-heure si on leur avait demandé.

Les meilleurs(e) s comédiens, comédiennes, les fous rires, les bouteilles de vin n’avaient rien changé à l’affaire. Au moment de quitter les autres, le soir, l’obscurité effaçait d’une gomme sinistre les bons moments et revenaient à fleur de peau la solitude et l’angoisse. L’on serrait alors discrètement dans sa poche un crucifix emprunté aux accessoires.
Et si l’on jouait avec des forces qui nous dépassaient?

Alors on longeait les caravanes pour ceux qui dormaient sur place, on s’armait d’une lampe, voir d’un bâton même si seulement quelques mètres séparaient les agapes des draps ou du sac de couchage… Des assistants, Alphonse l’avait découvert, avaient été jusqu’à « emprunter » quelques gousses d’ail, dont on avait besoin pour les scènes finales pour les cacher sous l’oreiller. D’autres n’hésitaient plus sous prétexte d’humour à s’en faire des colliers. Quant à la malle, pourtant ouverte, personne n’en approchait

Ceux qui dormaient en ville faisaient du covoiturage, on roulait doucement en espérant ne pas croiser quelque dame blanche, quelque revenant sur le bord de la route.

Alphonse s’approcha des mannequins. Le spécialiste des effets spéciaux s’était dépassé, ils étaient parfaits, jusqu’à cette fumée qui s’échappait des soi-disant corps. Un travail d’orfèvre. Les traits creusés, livides étaient le reflet de ceux qu’ils connaissaient vivants et rieurs.

Là à cette heure, avec ce vide entre deux scènes, l’athéisme d’Alphonse se mettait aux abonnés absents. Il guettait comme les autres? Quoi, il ne savait pas. Il regrettait presque d’avoir accepté après le coup de fil de sa mère à la réception de la malle.

— Joue! avait-elle dit. Ne t’occupe de rien, tu ne verras pas dans un premier temps la caméra. Le contrat avait été porté par un garçon en scooter quelques minutes plus tard. En regardant le chiffre en milieu de page, il s’était dit que pour ce prix-là il jouerait même avec Lucifer. Il l’avait signé dans la minute sans bien regarder les clauses.

Maman avait dit « aie confiance », le coursier était reparti le précieux document paraphé de sa signature. Maintenant il lui tardait de retrouver son salon sans cet encombrant bagage que l’équipe trimbalait depuis le début.

On allait vers la scène finale. Il ne savait pourquoi, il sentait que cette dernière scène verrait soit la fin de ses angoisses soit leur décuplement  comme si cette dernière scène dont il avait appris les répliques par cœur serait différente que celle qui était écrite. Il jeta un coup d’œil vers sa mère, elle souriait à son cameraman.

Enfin il entendit :



-Le coffre de mes ennuis scène 19

Il y eut le clap et...

-Action 
Il jeta un coup d’œil vers sa mère, elle souriait encore à son caméraman.




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