samedi 4 octobre 2014

La clé de mon malaise, chapitre 4 par Darklulu

- Jacqueline...
- Ho, vous pouvez m’appeler Jackie !
- Si vous voulez, mais je ne suis pas vraiment doué pour les mots fléchés.

Ne voulant pas être en reste, Clotilde enchaîne avec la précision millimétrée d’une presse à transistors pour ne me laisser aucune échappatoire.

- Appelez-moi Clodie. Ce n’est pas dur, vous savez. Un peu d’entraînement et de jugeote, c’est tout. Si le premier vous fait défaut, vous ne semblez pas dénué du deuxième.

Mon malaise prend soudain plusieurs degrés sur l’échelle de l’angoisse quand, pour bien ponctuer ses paroles, elle pose délicatement sa main sur ma cuisse.Je cherche une issue, mais mes facultés conceptuelles semblent annihilées par la situation. Et me voilà en train de déglutir péniblement pendant que je lutte contre l’assaut d’un début d’érection.

Jackie enchaîne avec l’assurance et la fermeté que seule des années de collaboration avec Clodie peuvent lui avoir conférées.

- Vous allez voir, je suis sûre qu’avec une définition plus simple vous allez y arriver. Voyons... Voyons... Oui ! Voilà : De do ou de sol, à la portée de toutes les portes. En trois lettres. C’est pas dur ça.

Rodée comme une horloge suisse, Clodie complète leur numéro de duettiste.

- Vous n’aurez pas trop de « pêne » à le trouver.

Elles partent toutes deux dans un fou rire, que je soupçonne d’être l’alibi parfait pour poser un peu plus de mains sur mes cuisses, dont l’intégrité territoriale commence sérieusement à être menacée. Sans parler de mon problème de tension sanguine dans le royaume pubien voisin.

Le naïf que je suis pense s’en sortir en donnant la réponse.

- Une clé ?

C’est une grossière erreur, bien entendu, mais qui a l’avantage de me rappeler la raison de ma présence sur ce banc, le coffre frustrant trônant dans mon salon, l’employée de la poste, et les regrets éternels sur la tombe de ma journée parfaite.

- Ah ! Vous voyez, dit Jackie, vous êtes naturellement doué pour ça. Et si j’en juge par le reste, il n’y a peut-être pas qu’à ça que vous êtes doué.

Je ne sais pas si c’est moi, un reflet malheureux du soleil, ou simplement la manifestation d’une vérité que je me refuse à accepter, mais je jurerai que Jacqueline, soixante-dix balais bien sonnés, me fait un clin d’œil qui se veut avenant.

- Je crois que nous avons trouvé notre partenaire de Scrabble, surenchérit Clodie. Il paraît que le Scrabble est un puissant stimulant.

C’est une affirmation que je trouve plus que douteuse, mais dont je n’ai en aucun cas l’envie de vérifier. Fébrilement, je fouille ma poche à la recherche de mon paquet de clopes, et dans la manœuvre, fait tomber mon Zippo. Il heurte ma chaussure qui l’envoie valdinguer sous le banc sur lequel nous sommes assis. Il s’immobilise avec un étrange bruit métallique très peu naturel.

Enfin la diversion que j’attendais.

Je me baisse sans me lever pour tâtonner sous le banc, mais ce fichu briquet est allé se fourrer pile à la verticale des fesses de Jacqueline. Je suis obligé de me pencher vers elle pour continuer ma fouille digitale. Mais au lieu de s’écarter pour me laisser un champ de manœuvre honorable, la lubrique mamie fait exactement l’inverse, et me voilà la tête dans ses jupons sans même que je l’ai vue venir.

Je serre les dents pour affronter cette épreuve comme un homme, tout en priant pour que personne ne me remarque. L’image que la scène doit donner doit être pour le mieux... surprenante, pour ne pas dire incongrue !

Je sens enfin le contact froid du métal de mon briquet tempête et je sais alors que mon but est proche et mon calvaire bientôt fini. Je redouble d’efforts tout en faisant de mon mieux pour ignorer les commentaires des deux rombières.

- Ca me rappelle le petit Henri. Tu te souviens ?

- Comment pourrais-je l’oublier ? Il avait un talent certain pour ranimer les braises.

- Oui, presque autant que pour remettre les tringles des rideaux.

- Tu as de ses nouvelles ?

- Arlette m’a dit qu’il était animateur de soirée à la maison de repos du vieux gland.

- Tant mieux pour les résidents. C’était un garçon qui payait de sa personne.

Ça y est ! Je tiens quelque chose. C’est long, fin et en métal. Je referme mon poing sur ma trouvaille et me relève comme un diable qui sort de sa boîte. Ou en l’occurrence, des jupons de Jackie.

- Je dois vous laisser mesdames. Je viens de me rappeler d’un rendez-vous urgent et de première importance pour la réussite du reste de cette journée.

- Vous nous quittez déjà ? C’est regrettable. Nous avons encore plein de cases vides

sur nos mots fléchés. Comment allons-nous les remplir sans votre aide ?

- Vous y arriverez, j’en suis certain, ma chère Clodie.

- Et vous n’auriez pas un numéro de portable ? Afin que nous puissions pousser plus profondément cette relation ?

- C’est à dire que j’habite dans une caravane, qui elle-même stationne le plus souvent dans un tunnel. Mais ne vous inquiétez pas ; maintenant, je sais où vous trouver.

Et en me promettant de ne plus jamais mettre les pieds dans ce jardin d’enfants, je tourne les talons. Avec un certain dépit, je constate que ma prière que personne ne me voit n’a pas été exaucée. Pas si j’en juge aux regards désapprobateurs et courroucés que me jettent les mamans, qui ont trouvé dans la vision de ma mésaventure une raison suffisante de délaisser la surveillance de leur progéniture.

Bien que l’envie me brûle presqu’autant que le rouge qui me monte aux joues, j’attends d’être dans le passage de Verdun pour examiner le mystérieux objet qui gisait sous le banc.

Il s’agit bien d’une clé. Mais pas de celles que l’on introduit dans un cadenas. C’est une clé ancienne et finement ouvragée. Typiquement, le genre de clé qui conviendrait à un manoir déserté par les vivants depuis des décades. Si je me fie au poids et à l’absence de corrosion, elle doit être dans un métal lourd, probablement en argent.

En y regardant de plus près, j’arrive à voir une inscription minuscule que je déchiffre avec peine.

« Cette clé scella bien des destins. Ouvre la porte et libère-les. »

Je hausse les sourcils. Me voilà bien avancé.


- Et maintenant ? fais-je dans un soupir qui s’envole dans l’air matinal comme le dernier espoir d’avoir une journée parfaite.

1 commentaire:

  1. Je viens de lire les 4 chapitres, bravo à tous. J'attends la suite avec impatience.

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