mardi 7 octobre 2014

Le messager de mon désespoir, Chapitre 6 par Dame Madeline


Midi dix. Dire qu’elle devait être tranquille ma journée ! Il me reste dix petites minutes de calme avant que la tempête ne s’invite dans la pièce. D’ailleurs le vent s’est levé.  Au travers de la vitre les feuilles mordorées tourbillonnent en tornades dans une sérénade au tempo allegro. Je monte le verre à mes lèvres, la clope entre les doigts et tandis que le whisky me fouette le fond de la gorge, je rassemble mes esprits. Devant moi, la vieille tige en argent étire ses dix centimètres comme une provocation à remuer mes méninges. Les rayons du soleil septembral s’invitent sur le panneton comme pour mieux présenter la finesse de l’ouvrage, sculpté de la main de ceux qui jadis avaient le temps. Je prends une deuxième gorgée. La meilleure. Celle qui revigore les neurones. Mon regard passe du coffre à la clé, de la clé au coffre. Ce n’est pas le bon instrument. Bien trop large, trop grand et argenté pour pouvoir s’insérer dans les deux petites serrures en laiton qui ornent la malle en bois. Je m’affale davantage sur les bourrelets en cuir de mon Chesterfield brun, effondré à l’idée de peut-être devoir affronter à nouveau Jackie et Clodie pour trouver la bonne clé. Midi quinze. Ma mère sera là dans cinq minutes. Je l’aime, ma mère. C’est juste qu’elle est envahissante, étourdissante et épuisante comme une mère monoparentale ultra-protectrice. Qui sait ? Sans-doute saura-t-elle m’aider. Au point où j’en suis, je peux bien supporter son couplet sur tous les sacrifices et puis sa litanie sur l’abandon de mon père. Juste que Putain, je voulais être tranquille aujourd’hui ! Je bois d’un trait le reste de mon whisky et me dépêche de prendre quelques taffes avant que la mère supérieure ne s’en aperçoive. Deux minutes. J’écrase ma clope dans le cendrier et je me précipite pour ouvrir la fenêtre en gesticulant pour chasser l’odeur du tabac encore chaud. Une pluie fine commence à tomber. Je regarde le salon. Merde. Une chaussure qui traîne. Je fous un grand coup de pied dedans pour l’envoyer valser sous le canapé quand j’entends des pas s’affairer sur le perron. À peine le temps d’atteindre la porte que celle-ci s’ouvre en grand sur le visage décidé de ma mère bien-aimée.

     Titounet ! Quel temps ! L’hiver sera bientôt là !

     M’man. Tu exagères toujours. C’est une petite pluie fine. Pas de quoi fouetter un chat !

     Tu ne m’invit-eu-s  pas à rentrer ? Dit-elle en plein milieu de la pièce en m’étouffant de sa poitrine opulente en guise de bonjour.

Ma mère fait traîner ses « e » en fin de phrases comme les gens du Sud qui savourent les lettres de chaque mot. Elle me tend son imperméable, son chapeau et son parapluie pour que je les suspende au-dessus de la baignoire afin de les faire sécher. Lorsque je reviens de la salle de bains, je la vois en train de fermer la fenêtre.

     Non, mais tu veux ma mort, mon fils ! Ouvri-reu la fenêt-reu par un temps pareil ! Mais c’est quoi cette odeur ? Tu t’es remis à fumer ! Non, mais quel-leu déception ! Tu n’as pas de plomb dans le crâ-neu , aucu-neu volonté ! Tu vas mourir avant ta mère si tu continues com-meu ça !! Mais qu’ai-je fait au ciel ? Tu dois respecter la vie, mon fils ! prend-reu soin de toi et prend-reu soin de moi, comme j’ai fait quand ton père Diego est parti ! Tu me dois bien ça dit, mon petit !

     M’man, c’est juste une toute petite cigarette !

     Et ce verre, c’est quoi ? Tu n’es pas al-leu-co-li-queux au moins ? Seigneur, Jésus, Marie, Joseph !!! Aidez-nous.

      Je suis stressé par ce coffre, expliqué-je en me rasseyant.

     Ah oui le coffre, fait-elle en détaillant l’immense malle qui trône au milieu de la pièce. Elle tourne autour, de ses petits pas résolus. Soudain, son regard se fige en reconnaissant la clé. Elle s’en saisit et constate tout haut « Bien sûr cette clé n’ouvre point le coffre puisqu’elle ouvre la porte de l’Éspéranza ». .S’apercevant qu’elle en a trop dit, elle me fixe pendant deux secondes.

     Tiens-toi droit, ta colonne ! On dirait un vieux puceau constipé devant la boîte de Pandore !

Je me redresse tout de suite, vexé qu’elle me traite de vieux. J’essaye d’en placer une, mais elle semble partie dans une tirade telle que tout effort est vain. Elle change de sujet.

     J’ai rencontré en chemin deux de mes ami-eus qui s’en allaient au pos-teu de police-eu. Figure-eu-toi qu’il leur est arrivé une mésaventu-reu fort désagréable-eu. Elles étaient tranquil-leu-ment en train de faire leurs mots croisés au jardin d’enfants lorsqu’un igno-bleu pervers les a harcelé.

Je me mets à déglutir. Je voudrais hurler pour ne pas entendre la suite.

     Elles sont parties lancer un avis de recherche. Des malades, je te dis ! Cette ville est pleine de prédateurs ! Mais ne t’inquiè-teu pas. Tu vas voir mon chéri, Claudine et Jacqueline sont délicieuses. Je leur ai proposé de venir me rejoind-reu ici pour se remett-reu de leurs émotions. D’ailleurs, je les entends dans l’allé-eu.


Mon sang ne fait qu’un tour. Harceler ? Et puis quoi encore ? Ce sont elles les malades ! Il faut les enfermer ! J’entends leurs pas. Merde. Merde. Comment je vais faire ?

1 commentaire:

  1. Franchement ? Vraiment ? ... :-) Vous êtes géniaux, c'est trop bon avec ces reprises des épisodes précédents et ces personnages hauts en couleur. J'adore ! Vivement la suite.

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