vendredi 17 octobre 2014

Le coffre de mes lamentations, Chapitre 9 par Dame Laurence

… Et tous chantent d’un bel ensemble : « Happy Birthday to youuu, happy birthday to youuuu !!!!”

« Allez, souffle tes bougies, Alphonse !  C’est un grand jour ! Un jour d’espérance ! », Renchérit ma mère.

Elle se fout de moi ou quoi ? C’est quoi ce gâteau en forme de coffre ? Et ces multiples bougies à l’allure de clés plantés dessus ? Un canular d’un goût douteux, c’est sûr, d’autant que des yeux de fouine au sourire lubrique me scrutent avec avidité et que des mains déformées cherchent à s’emparer de moi. J’ai tout l’air d’un dessert face à son regard affamé !

Merde, où suis-je ? Suis-je en train de rêver ce jour de congé ordinaire métamorphosé en journée cauchemardesque ? Un mal de crâne épouvantable émerge, lancinant et enserre mes tempes. Je ne sais pas si je dois ouvrir les yeux ou les garder fermés. Mon indécision vient sans doute des mains qui évaluent mon corps étendu avec un peu trop d’insistance. Je vais entrouvrir les yeux lentement, sans précipitation. A peine un rai de lumière derrière mes paupières pour juger de la situation et les refermer aussi secs au moindre truc louche. J’en ai soupé des coffres et autres mamies infernales pour le restant de mes jours !

    Je crois qu’il reprend connaissance… prononce une voix.

    Ah ben, à le palper ainsi y a pas à dire, ça réveille ! ricane une seconde voix.

Oh mon Dieu ! Penchées toutes deux sur moi, Jacqueline et Clothilde me dévisagent derrière leurs lunettes, un sourire avenant sur leurs lèvres mais je vois bien leurs prunelles suspicieuses qui me considèrent. Mon cœur fait un bond terrible dans ma poitrine à la différence de mon corps que je peux à peine bouger. Effaré, je constate que je me trouve pieds et poings liés, allongé sur le sol bétonné du garage de ma mère. Tant bien que mal je cherche à me relever.

    Tout doux, mon mignon, laisse-moi faire, susurre la voix de Clotilde.

Avec une force surprenante pour son âge avancé, elle me redresse et me traîne jusqu’au coffre contre lequel elle m’adosse. Ce dernier, bien qu’ouvert à présent, trône toujours au centre du garage. Je n’ose regarder vers la gauche là où la présence d’une troisième personne se profile… L’ombre sortie du coffre ?

    N’aie pas peur mon grand, on ne va pas rester longtemps… tiens, pour passer le temps que dirais-tu de faire des mots fléchés ? ajoute Jacqueline.

Je déglutis, peinant à retrouver un souffle mesuré tant la peur suinte par tous mes pores. Jamais je n’ai transpiré autant de ma vie, mes vêtements collent à ma peau, la moiteur dégage l’effroi qui me tient, je brûle de désir d’un verre single malt et d’une cigarette… Non ! Pas d’une cigarette, surtout pas ! Elle signerait celle du condamné.

Les deux vieilles ont rejoint l’ombre sortie du coffre. Celle-ci arpente maintenant le fond du garage. Elle parait nerveuse, ses yeux reviennent sans cesse vers moi. Quoique efflanquée  je me demande comment un tel gabarit a pu rester des heures, voire des jours, qui sait, coincé dans cette malle. Toutes trois parlementent tout bas en jetant des regards méfiants dans ma direction et j’ose leur sourire, le visage baigné d’innocence, à prier intérieurement que Rosy débarque et me sorte de là. 

« Maman, tu ne peux pas avoir de telles amies, des canailles à la solde de truands, prêtes à me lyncher si je deviens trop curieux ! Maman, pourquoi t’es jamais là quand j’ai vraiment besoin de toi !»

Je souhaite me faire tout petit, ne pas faire de vague, attendre sagement que ces trois là finissent par partir. Ils ne vont pas rester dans ce garage jusqu’à demain, non ? Je vais prendre mon mal en patience, ne pas paraître angoissé face aux malheurs qui m’accablent depuis le matin. Alors pourquoi tout à coup  me suis-je mis à pousser un hurlement? Peut-être une overdose de peur, la nécessité de lâcher la tension qui m’habite ? Toujours est-il qu’une agressivité féroce, incontrôlable et soudaine s’exprime alors. Un formidable élan de rébellion à l’intention de ceux qui ont décidé de foutre en l’air ma précieuse journée de congé. Pris d’une fureur justifiée, je beugle vers le duo gérontophile et l’ombre filiforme :

    Mais que se passe-t-il bordel ? Que me voulez-vous ? Détachez-moi de suite !

    Faites le taire sinon je m’en charge ! invective l’ombre d’une voix impatiente.

Celle-ci n’a pas été haussée mais le ton menaçant n’incite pas à protester une nouvelle fois sur ma condition de prisonnier. Plus de doute possible l’ombre est bien celle d’un homme. Celui dont parle le journal ? Je n’en suis pas certain et pour tout dire je n’ai pas très envie de savoir. Il parait en proie à des tourments, quelque peu irrité par le tour que prennent les événements.  J’entends quelques brides, des mots déjà entendus depuis ce matin comme « clé », « porte », « Esperanza » mais aucun qui me ferait comprendre la situation insensée dans laquelle je me trouve.

A  la vue des deux mamies qui reviennent vers moi, je rentre aussitôt dans ma coquille, avec toutefois le geste apaisant, malgré mes poignets liés, de calmer l’exaspération qui s’affiche sur leurs traits.

    Qu’est-ce qu’on fait de lui ? demande Clothilde.

Mon baromètre de frayeur atteint le maximum toléré. Je tremble de tous mes membres, pauvre carcasse jeté en pâture face au destin qui semble soudain vouloir jouer sa partie sans moi.

     Non ! je bafouille au bord de la panique, c’est moi qui l’ai libéré, je suis la clé…

    Je suggère qu’il prenne la place de l’autre. Tu en penses quoi, Clodie ? réplique Jacqueline en tapotant le coffre d’une main amicale.



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