… Et tous chantent d’un bel ensemble : « Happy
Birthday to youuu, happy birthday to youuuu !!!!”
« Allez,
souffle tes bougies, Alphonse ! C’est un
grand jour ! Un jour d’espérance ! », Renchérit ma mère.
Elle
se fout de moi ou quoi ? C’est quoi ce gâteau en forme de coffre ? Et
ces multiples bougies à l’allure de clés plantés dessus ? Un canular d’un
goût douteux, c’est sûr, d’autant que des yeux de fouine au sourire lubrique me
scrutent avec avidité et que des mains déformées cherchent à s’emparer de moi.
J’ai tout l’air d’un dessert face à son regard affamé !
Merde,
où suis-je ? Suis-je en train de rêver ce jour de congé ordinaire
métamorphosé en journée cauchemardesque ? Un mal de crâne épouvantable émerge,
lancinant et enserre mes tempes. Je ne sais pas si je dois ouvrir les yeux ou
les garder fermés. Mon indécision vient sans doute des mains qui évaluent mon
corps étendu avec un peu trop d’insistance. Je vais entrouvrir les yeux lentement,
sans précipitation. A peine un rai de lumière derrière mes paupières pour juger
de la situation et les refermer aussi secs au moindre truc louche. J’en ai
soupé des coffres et autres mamies infernales pour le restant de mes jours
!
— Je
crois qu’il reprend connaissance… prononce une voix.
— Ah
ben, à le palper ainsi y a pas à dire, ça réveille ! ricane une seconde
voix.
Oh
mon Dieu ! Penchées toutes deux sur moi, Jacqueline et Clothilde me dévisagent
derrière leurs lunettes, un sourire avenant sur leurs lèvres mais je vois bien
leurs prunelles suspicieuses qui me considèrent. Mon cœur fait un bond terrible
dans ma poitrine à la différence de mon corps que je peux à peine bouger. Effaré,
je constate que je me trouve pieds et poings liés, allongé sur le sol bétonné
du garage de ma mère. Tant bien que mal je cherche à me relever.
— Tout
doux, mon mignon, laisse-moi faire, susurre la voix de Clotilde.
Avec
une force surprenante pour son âge avancé, elle me redresse et me traîne jusqu’au
coffre contre lequel elle m’adosse. Ce dernier, bien qu’ouvert à présent, trône
toujours au centre du garage. Je n’ose regarder vers la gauche là où la
présence d’une troisième personne se profile… L’ombre sortie du coffre ?
— N’aie
pas peur mon grand, on ne va pas rester longtemps… tiens, pour passer le temps
que dirais-tu de faire des mots fléchés ? ajoute Jacqueline.
Je
déglutis, peinant à retrouver un souffle mesuré tant la peur suinte par tous
mes pores. Jamais je n’ai transpiré autant de ma vie, mes vêtements collent à
ma peau, la moiteur dégage l’effroi qui me tient, je brûle de désir d’un verre
single malt et d’une cigarette… Non ! Pas d’une cigarette, surtout
pas ! Elle signerait celle du condamné.
Les
deux vieilles ont rejoint l’ombre sortie du coffre. Celle-ci arpente maintenant
le fond du garage. Elle parait nerveuse, ses yeux reviennent sans cesse vers
moi. Quoique efflanquée je me demande
comment un tel gabarit a pu rester des heures, voire des jours, qui sait,
coincé dans cette malle. Toutes trois parlementent tout bas en jetant des
regards méfiants dans ma direction et j’ose leur sourire, le visage baigné
d’innocence, à prier intérieurement que Rosy débarque et me sorte de là.
« Maman, tu ne peux pas avoir de
telles amies, des canailles à la solde de truands, prêtes à me lyncher si je
deviens trop curieux ! Maman, pourquoi t’es jamais là quand j’ai
vraiment besoin de toi !»
Je
souhaite me faire tout petit, ne pas faire de vague, attendre sagement que ces
trois là finissent par partir. Ils ne vont pas rester dans ce garage jusqu’à
demain, non ? Je vais prendre mon mal en patience, ne pas paraître
angoissé face aux malheurs qui m’accablent depuis le matin. Alors pourquoi tout
à coup me suis-je mis à pousser un hurlement? Peut-être une overdose de
peur, la nécessité de lâcher la tension qui m’habite ? Toujours est-il
qu’une agressivité féroce, incontrôlable et soudaine s’exprime alors. Un
formidable élan de rébellion à l’intention de ceux qui ont décidé de foutre en
l’air ma précieuse journée de congé. Pris d’une fureur justifiée, je beugle vers
le duo gérontophile et l’ombre filiforme :
— Mais
que se passe-t-il bordel ? Que me voulez-vous ? Détachez-moi de
suite !
— Faites
le taire sinon je m’en charge ! invective l’ombre d’une voix impatiente.
Celle-ci
n’a pas été haussée mais le ton menaçant n’incite pas à protester une nouvelle
fois sur ma condition de prisonnier. Plus de doute possible l’ombre est bien
celle d’un homme. Celui dont parle le journal ? Je n’en suis pas certain
et pour tout dire je n’ai pas très envie de savoir. Il parait en proie à des
tourments, quelque peu irrité par le tour que prennent les événements. J’entends quelques brides, des mots déjà
entendus depuis ce matin comme « clé », « porte »,
« Esperanza » mais aucun qui me ferait comprendre la situation
insensée dans laquelle je me trouve.
A la vue des deux mamies qui reviennent vers
moi, je rentre aussitôt dans ma coquille, avec toutefois le geste apaisant,
malgré mes poignets liés, de calmer l’exaspération qui s’affiche sur leurs
traits.
— Qu’est-ce
qu’on fait de lui ? demande Clothilde.
Mon
baromètre de frayeur atteint le maximum toléré. Je tremble de tous mes membres,
pauvre carcasse jeté en pâture face au destin qui semble soudain vouloir jouer
sa partie sans moi.
— Non ! je bafouille au bord de la panique,
c’est moi qui l’ai libéré, je suis la clé…
— Je
suggère qu’il prenne la place de l’autre. Tu en penses quoi, Clodie ? réplique
Jacqueline en tapotant le coffre d’une main amicale.
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