jeudi 2 octobre 2014

La malle de mon bouleversement. Chapitre 2 (Aubree)


Et l’inusité de la situation me laisse pantois. La malle de bois prend une place considérable au centre de mon petit salon. Elle me regarde d’un air goguenard de ses deux ferrures bien cadenassées et semble me dire « j’y suis, j’y reste ! ».
Lui tournant le dos afin d’échapper tant à mon état d’hébétude qu’à ce regard par trop insistant, je reviens au devis qui, certainement, me cache une précieuse information. Les objets se liguent contre ma volonté au vu de l’entêtement de ce coffre à se donner un aspect énigmatique et  à la blancheur immaculée de cette page encore plus vide qu’à ma première inspection. Seules y figurent les coordonnées du bureau de poste, un numéro d’envoi et mes propres références. Reste une alternative : interpeller un agent porteur des ailes de Mercure.
-      
    —Allo, la Poste ?

-      — Ouuuiiiii ? me répond une voix féminine et traînante qui, bizarrement, accélère son débit pour ajouter immédiatement : veuillezpatienters’ilvousplaît !

Pendant que j’arpente mon salon, tournant en rond autour de la malle, slalomant entre mon canapé et la télévision, parcourant de mes pas de plus en plus rapides les quelques mètres laissés libres par l’incongruité parachutée dans ma journée de congé, j’entends distinctement la commère postière bavasser. De ses prévisions de lever de vent mauvais pour la fin de semaine à ses regrets éternels adressés aux journées ensoleillées, elle étale son bavardage comme le miséreux sa dernière once de saindoux sur sa dernière tartine.

-      — Madame ? Madame ? Madaaame !

-      — Veuillezpatienters’ilvousplaît !

-      — Je ne fais que ça ! Pourriez-vous me renseigner…

- —Ooouuiiiii, me coupe-t-elle reprenant son air nonchalant suivi d’un : Qu’estcequilvousfallait ? à l’emporte-pièce.

-      —Je voudrais savoir la provenance d’un colis qu’on vient de me livrer.

-      —L’expéditeur est indiqué sur le bon de livraison, Monsieur. Le livreur vous a bien donné ce bon, n’est ce pas ?

—Et dans la voix de la mégère transparaît tout le mépris qu’elle porte à l’imbécile qui n’a même pas su lire l’évidence sous son nez.

-      —Non, Madame, l’expéditeur n’est pas indiqué.

Contenant mon impatience et la colère qui déjà gronde au fond de mes entrailles, j’explique la survenue du coffre aux allures de pirate dans la quiétude de mon monde et l’absence inacceptable de la précieuse information. Je me garde de délivrer à la harpie l’épisode téléphonique afin de ne pas encombrer la vacuité de son cerveau. S’ensuit une conversation à sens unique dans laquelle elle m’oppose l’impossibilité de l’omission de la mention de l’expéditeur sur un bon de livraison de la merveilleuse Poste, son employeur chéri. Comme j’insiste lourdement et que j’ai l’audace de lui demander d’aller quérir le renseignement dans les tiroirs secrets de l’administration postale à partir du numéro d’envoi, elle finit par s’offusquer. Je la sens de plus en plus rétive à toute suggestion de vérification et elle contre chacune de mes propositions en tergiversant de plus belle. Jusqu’au moment où j’entends la récalcitrante factrice me répondre :

-      —Mais si vous n’en voulez pas de ce colis, Monsieur, il faut le renvoyer !

De ma bouche pourtant béante, plus aucun son ne parvient à filtrer. Mes yeux tels des sémaphores clignotent quelques instants sous des paupières abasourdies de stupeur. Je tombe du haut de ma déconfiture directement assis sur le fauteuil faisant face à l’intrus.

Où donc est passé ce jour de congé, ce jour à moi durant lequel le temps ne devait pas être à la presse ? Tout ici est chamboulé et les minutes défilent dans un surréalisme grandissant. J’en regretterais presque les contraintes et la course à la performance du bureau afin de baigner à nouveau dans un semblant de normalité. Où se cachent ma douce tranquillité et le zéphyr de mon bien-être qui flânait auparavant d’une branche à l’autre de mon érable ? Mon arbre tente toujours d’imposer sa majesté, là-bas, au fond de ma cour et au travers de mes vitres. Les couleurs d’automne y déploient des mosaïques de tendre opaline en douce chartreuse puis virent lentement du miel au safran et se meurent en cramoisi dans le sang. Où donc fuit la langueur tant espérée de cette journée ?
Là… Elle est là ! Derrière les ferrures rouillées de ce coffre qui me la vole. Enfermée dans ce bois au ton auburn patiné. Au-delà du cuir râpé... Encore assis sur mon fauteuil, je tends mes doigts vers l’inconnu qui me lorgne de ses deux cadenas insolents. J’effleure ses contours tentant de l’amadouer. Et, au détour d’un clou luisant de sa noirceur, je découvre bien caché sous une sangle de cuir un bout de papier. Un infime morceau jauni pointe son nez et me nargue de sa modicité que mes doigts ne peuvent attraper. Du bout d’un ongle, j’essaie de le faire glisser, bouger, reculer, avancer mais je n’arrive qu’à en grignoter des miettes. Je vais le déchirer si je continue de cette façon. L’effronté refuse de se livrer sans lutter. Je vais donc user de ses propres armes : à petitesse, petitesse et demi. Et c’est la pince à épiler qui aura raison de lui. Vaincu, il se laisse déplier sans broncher reconnaissant tacitement ma supériorité. Et c’est alors qu’il se met à parler :
-      
    Au proche jardin d’enfant
-      Et sous le troisième banc
-      Une clef tu trouveras
-     Et ta réponse obtiendras.



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